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Un poète pour l'éternité

 

Lounès Matoub est sublime dans l'éternité de son temps et la singularité de notre humanité. Il est né le 24 janvier 1956 en Grande Kabylie. Il y a été assassiné le 25 juin 1998, victime d'un probable complot politique. Pour les Algériens de Kabylie, le « contrat »  de son exécution a été sous-traité à des complices locaux par certains clans de la nébuleuse appelée, de manière fort imprécise, «  le pouvoir ». Mais ce n'est pas parce qu'il a été assassiné qu'il est considéré comme l'un des personnages importants de l'histoire de l'Algérie contemporaine et comme l'un de ses plus grands artistes. Son statut, il l'a arraché de son vivant même, et c'est d'ailleurs pourquoi il pouvait être utile de le liquider.
Comparer Matoub à des poètes comme Arma Akhmatova, Marina Tsvetaïeva ou son contemporain arabe Mahmoud Darwish peut rendre compte de la dimension universelle de son œuvre et de sa place dans la culture amazigh. Mais il est difficile, si l'on n'y est pas soi-même immergé, de saisir l'ampleur et la qualité de la communication qui a vibré entre le poète chanteur et un si grand nombre de Kabyles. Il fait partie de ces rares personnes qui, par la pensée poétique et artistique, ont influé sur l'histoire d'un peuple dans un sens de progrès authentique, en dehors des conspirations pseudo-subversives de l'industrie du divertissement et autres impostures. C'est que, bien avant qu'il soit entré dans la légende des héros martyrs, il est allé seul au brasier, se mêlant de sa liberté et de la nôtre :

La liberté fut égorgée !
Au lieu où elle a sombré,
Peuple, son hurlement est ta langue.
(Poème 2)

Et en dépit de certaines maladresses, de certains compagnonnages politiques qui apparaissent aujourd'hui en contradiction avec ce qu'il défendait et ce qu'il était, Matoub n'a jamais monnayé son intégrité. Seules des amitiés fallacieuses et des erreurs d'appréciation l'ont porté à commettre des dérapages tactiques et à relâcher sa vigilance critique (1).
Si, déjà de son vivant, Matoub était estimé à ce point, c'est parce que, dans des circonstances caractérisées par la tyrannie militaro-économique, affermie par l'idéologie arabo-islamique, par l'ignorance, la misère, le mensonge, la manipulation, la falsification, la superstition religieuse et la confiscation de l'histoire, il est allé aussi loin que possible, tant sur le plan artistique que sur les plans politique et social. Alors même que le contexte historique dans lequel Matoub a vécu (et d'une certaine manière son itinéraire d'enfant pauvre et précocement déscolarisé) n'était pas fait pour favoriser l'émergence d'un artiste de sa valeur.
Il est certain que, longtemps, les instigateurs du malheur des Algériens ont cru avoir emporté une victoire décisive : ils ont réussi à désespérer le peuple. Et, de fait, le nombre de traîtres à la démocratie, à Tamazight dans ses dimensions les plus libératrices, aux droits des femmes (niées par l'idéologie islamique, méprisées constitutionnellement (2)) était si élevé, la conspiration entourant chaque méfait, chaque assassinat était si évidemment effrayante que le peuple semblait au bord de la résignation. Un passage de « Regard sur l'histoire d'un pays damné » résume bien le sort fait à l'Algérie :

Au fer des souffrances tu fus tatouée
A tes pans d'habit l'abjection s'essuie.
Tu fus témoin aux massacres des lions
Qui te voulaient comme un phare, splendide.
Tu es l'antre creusé d'un essaim de vers,
Qui ardemment dévore ta dignité ;
De quelque lieu que surgisse le malheur
Dans ton giron un refuge lui est fait.
Comment le brouillard se dissipera-t-il ?
Puisque nous renions nos racines,
La mort même nous l'écœurerions,
Par nous désirée, elle nous recracherait.
(Poème 65)

Sur ce peuple le chaos règne dans la terreur et la terreur gouverne dans le chaos. Dans ce contexte, Matoub a élevé son expression à un niveau de raffinement musical et poétique rare. Et cet effort, aucun intellectuel, aucun journal, aucune radio ni aucune télévision ne l'ont soutenu jusqu'à une époque récente (3).
Il était de ceux qui nous ont appris que ni la soumission ni l'asservissement ne sont moraux ; que la liberté seule est morale. Que, pour rompre « les congères de la terreur » (pour citer son poème « Communion avec la patrie »), « elle s'arrache : la liberté » :

Si la mer excède ses frontières
Le soleil à jamais sera banni :
Le fusil, à court de munitions,
Entre les mains, demeure un bâton mortel.
Pèse sur nous du poids d'un fardeau,
Cette Révélation qui nous a courbés.
Cœur assoiffé de guerre,
Patience, guette l'heure de ta revanche.
Ceux qui aujourd'hui nous dominent,
Savent ce que les temps charrient.
(Poème 24)

Cependant, l'importance de Matoub dans l'histoire artistique et politique de l'Algérie ne provient pas tant de ses chants politiques, que de l'aller-retour permanent entre l'être particulier et l'être social collectif, entre le désir le plus intime et la condition sociale générale. Dans la poésie de Matoub, rien n'est plus authentique que l'élan du poète pour dépasser le dualisme de la vie intérieure et de la vie sociale. Le chant adhère (jusqu'à l'identité) à l'expérience de l'existence. Le poète-chanteur a surtout élaboré une langue unique par la beauté nouvelle de sa mise en forme, l'envoûtement et l'originalité d'une poésie chantée, tout entière parcourue du « flux pluriel » qui compose l'être, pour reprendre l'expression de Kateb Yacine.
En outre, Matoub associe à son esthétique poétique personnelle une mise en musique de ses textes dans le style chaâbi. Ce genre, au rebours d'autres musiques maghrébines ou orientalisantes, ne flatte pas, par la vulgarité multiforme et électronique, les fantasmes d'exotisme et de pseudo-tolérance programmés par l'industrie du disque. Dérivé algérois de la musique arabo-andalouse et de la poésie marocaine, le chaâbi a été créé par El-Hadj El-Anqa (4). Sa pratique constitue une voie artistique techniquement très difficile. Par son exploration constante, Matoub en a acquis une maîtrise qui lui a permis de proposer quelques-unes des plus belles oeuvres de l'art poético-musical algérien. Les doubles disques Regard sur l'histoire d'un pays damné, Communion avec la patrie, Au nom de tous les miens et le dernier, Lettre ouverte aux.. , sont des points d'arrivée en même temps que des sources d'inspiration artistique et politique pour les générations présentes et futures.
C'est sur cette fondation que le chant de Matoub fait s'irradier de la nuit intérieure la condition intime autant que la condition sociale, la singularité autant que le multiple, engagés tous deux dans la nature dynamique du monde. Et sans se soumettre au processus de la conscience réflexive qui est appliquée dans l'art en Occident, le chant de Matoub vise à épouser le point de vue de la totalité. Et, d'une certaine manière, ce qu'il avait dit du poète-chanteur kabyle Slimane Azem est aussi l'esquisse d'un autoportrait :

Il chanta l'exil aux mille souffrances,
Son peuple entaillé par les chiens galeux ;
Il chanta la jeunesse, chanta le grand âge.
(Poème 54)

Plus qu'aucun autre, Lounès Matoub possédait cette vertu qui consiste à ne pas considérer la poésie comme un mode d'expression strictement esthétique et autonome, enfin émancipé de la réalité de la vie. Au contraire, toute l'imagination poétique s'édifie chez lui à partir du contenu de cette vie concrète : parole qui déborde sur son au-delà et matérialité qui déborde sur la parole.
Il n'est pas possible - et il n'est surtout pas pertinent - de condamner Matoub à incarner le rôle bien médiocre du poète engagé, fatalement asservi à quelque idéologie. C'est au refus de cette limitation, et surtout à la conscience que l'enjeu de son parcours de créateur est d'une autre envergure, que nous devons nous attacher pour en éclairer la signification. En ce sens, ce que l'itinéraire de Matoub nous enseigne, c'est que si l'individualité en prise avec l'histoire est acculée à une retraite intermittente au bénéfice d'une collectivité en lutte, elle peut parvenir à émerger, fût-ce au prix d'une altération momentanée. Pour cette quête, Lounès Matoub est allé en équilibre sur le tranchant de la vie, avec la solitude pour arsenal :

Ma voix sombre au fond d'un puits,
Si je hurlais, nul ne m'entendrait.
(Poème 31)

Un désespoir sans issue :

Mon esprit se mord d'abîme,
Le crépuscule dévore le temps lucide.
M'épouvante demain qui tombe,
M'épouvante de même la tombe ;
Ah ! M'épouvante le temps sans retour !
Et je n'ai pas trouvé de quoi assouvir
Cette absolue soif qui m'oppresse,
Sur elle inaccessible s'accote.
(Poème 97)

Ainsi, parce que la jeunesse kabyle se regarde comme en sa vérité dans un poète qui a redonné vie avec le plus grand raffinement à la musique authentiquement algérienne qu'est le chaâbi ; parce qu'elle se reconnaît dans un verbe producteur d'images et de combinaisons poétiques inédites dans notre culture ; parce que ce verbe et l'homme qui l'a forgé ont porté les armes de la critique contre l'ensemble des aspects de la vie, cette jeunesse peut souhaiter répondre aux sommations d'un esprit aussi subversif ou se montrer digne de l'ampleur de cette subversion.
Nous sommes quelques-uns à penser que l'insurrection kabyle de 2001 était le prolongement des émeutes qui ont suivi l'assassinat du grand artiste révolutionnaire en 1998. Elles ont constitué une répétition à la revanche du peuple contre l'horreur : celle qui provient de la dictature militaro-économique, de la violence terroriste quels qu'en soient les auteurs ou les commanditaires réels, autant que celle qui provient des condottieri qui jouent avec la plus grande maladresse le rôle des opposants démocrates.
Comme si - chose horrible pourtant - la mort de Lounès Matoub était le prix à payer pour que le peuple passât de la contemplation et de l'admiration devant le courage du « rebelle » à l'accomplissement de sa propre tâche (5). Quand le chant s'identifie, comme chez lui, avec le mouvement des mondes objectif et intérieur, au flux du temps intime dans l'agitation de l'histoire, le temps de la vie renaît jusqu'à la grandeur de ce qui est vécu.


Yalla Seddiki - Mon nom est combat


Notes :

1. Lounès Matoub et moi avons parfois discuté de ses choix politiques et j'ai constaté que ses limites en la matière étaient celles de l'amitié ou de l'admiration qu'il éprouvait pour quelques personnalités de la classe politique algériennes. Celles-ci pouvaient à loisir tirer profit de la confiance qu'il avait mise en elles et de sa sincérité dans sa lutte contre tous les obscurantistes. Néanmoins, des sursauts de lucidité ont conduit Lounès Matoub à avouer qu'il avait l'impression, à l'occasion de tel concert à Paris, d'avoir « prostitué (son) public »  et qu'il devait essayer de se dégager de toute influence partisane pour être fidèle à l'indépendance qui avait caractérisé son itinéraire jusqu'au début des années 1990.
La dernière conversation que nous eûmes à ce sujet date de juin 1998, quelques jours avant qu'il soit tué. Dégoûté par ce que lui révélait l'indifférence des partis se disant « démocrates » devant le projet d'arabisation du gouvernement algérien, pour lui révélateur de l'état de trahison et de corruption de l'ensemble de ce personnel politique, il me déclara : « à partir du 5 juillet, je serai la seule opposition en Algérie. Je serai le seul opposant. » Quelques minutes auparavant, parlant de son nouveau disque et de son impact possible, il m'avait dit, souriant et plein inquiétude : « Cette fois, soit ils me jetteront en prison, soit ils me tueront. » Ils ne l'ont pas jeté en prison...

2. Sur ce point, l'honnêteté commande de préciser que l'avilissement des femmes n'est pas le seul fait de la religion et des idéologies du « pouvoir ». Il est avant tout le fondement et le produit des arriérations de la société kabyle traditionnelle, pour ne parler que d'elle. Il est important de rappeler cela dans la mesure où, nous Kabyles, nous nous prétendons plus démocrates que le reste des Algériens.

3. Un ancien responsable d'une coopérative culturelle m'a révélé que, au début des années 1980, Lounès Matoub avait proposé à lui et ses amis la publication de l'un de ses disques et qu'ils l'avaient refusé : Matoub n'étant pas issu du milieu universitaire, il ne leur avait pas semblé digne au point de figurer à leur catalogue. Cela a eu pour effet de susciter chez Matoub - nous en avons souvent parlé - un mélange durable de méfiance et d'hostilité à l'égard de la plupart des spécialistes algériens de la culture berbère. Le travail de raffinement de ses outils littéraires et musicaux, qui ont fait de lui au moins l'égal des plus grands explorateurs de la langue kabyle et de la musique algérienne, trouvait son origine dans son désir de démonter que lui, villageois issu d'un milieu très pauvre, autodidacte, méprisé par le milieu intellectuel et politique algérien et en particulier kabyle, sans aucun soutien médiatique ou politique, avait atteint un niveau artistique, culturel et une qualité de subversion auxquels très peu pourraient prétendre. Lui et moi avons plusieurs fois discuté du fait que le mépris dont il avait été longtemps victime l'a forcé à aiguiser et à dépasser sans cesse ses acquis.

4. Élève de Cheikh Nador, El-Hadj M'hamed El-Anqa est né en 1907 à la Casbah d'Alger, il est mort à Alger en 1978.

5. Il ne s'agit surtout pas ici d'une exhortation à envoyer notre jeunesse à la mort. Nous croyons au contraire qu'il faut tout faire pour que la lutte en faveur de la démocratie économique et sociale ne se réalise pas dans la violence : dans cette voie, ce sont toujours le peuple et les démocrates qui perdent et qui meurent. En effet dans un pays comme l'Algérie, entièrement quadrillé par les polices politiques et leurs relais dans le milieu associatif ou les organisations politiques se disant démocrates, la violence est un mode de communication et de rééquilibrage des rapports de forces entre différents clans ou de déstabilisation d'un clan par un autre. Il est donc peu probable que les révoltes logiques du point de vue du peuple et des démocrates échappent entièrement à leur instrumentalisation par des forces et des acteurs occultes.


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