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Entretien avec Yalla Seddiki
«Matoub était méprisé par les intellectuels kabyles»
Le 26 Mai 2009 à 09h00


Yalla Seddiki est né en 1969, près de Tigzirt (Tizi Ouzou), il est l'intellectuel algérien qui a le plus côtoyé Lounès Matoub, particulièrement durant les dernières années de la vie du Rebelle. Une fréquentation lui ayant permis de devenir l'un des témoins privilégiés de la vie et de l'oeuvre de Matoub Lounès. Après avoir publié un premier livre sur Matoub avec les traductions de sa poésie en langue française: Lounès Matoub, mon nom est combat, Editions la Découverte, il fait paraître une revue, également sur l'oeuvre de Matoub, en France. Yalla Seddiki prépare d'autres ouvrages sur le poète assassiné. Il est également nouvelliste et auteur d'un livre d'art Kabylie belle et rebelle. Dans cette interview, il raconte des choses sur Matoub que le lecteur ne connaît pas forcément malgré tout ce qui a été écrit sur lui.

L'Expression: Pouvez-vous revenir sur votre toute première rencontre avec Matoub Lounès à Paris, durant laquelle vous lui avez exposé votre projet de livre?
Yalla Seddiki: La première fois que j'ai parlé directement à Lounès Matoub du projet qui, bien des années plus trad, allait devenir le recueil bilingue et posthume Mon nom est combat, c'était en Kabylie. Par l'intermédiaire des Guellil, responsables de la maison de production Triomphe musique, qui, à Paris, ont édité une dizaine de disques de Lounès Matoub et de tout ce que la Kabylie a compté d'artistes chanteurs, je lui avais fait parvenir un tapuscrit qui s'appelait Regard sur le poète d'un pays damné. N'ayant pas obtenu de réponse, je me suis rendu à Tawrirt.
Lounès Matoub m'a fait quelques reproches sur les traductions et a justifié son refus par la crainte qu'il avait du passage à l'écrit. Il a insisté sur le fait que la fixation par écrit de son parcours lui donnait par avance, l'impression d'être mort. Enfin, il faut relever un élément auquel je n'avais pas prêté attention le jour de cette entrevue, mais qui était d'autant plus important que Lounès me l'a rappelé une semaine avant sa mort. Il m'a expliqué que ce qui a réellement déterminé son opposition à mon projet au début, c'était le fait que je me sois servi pour légitimer ma démarche de la recommandation d'une personnalité du milieu universitaire kabyle. Après le long mépris dans lequel avait été tenu par nos intellectuels et selon lui par cette personne en particulier, il avait pensé que j'étais instrumentalisé par elle pour arriver à lui.

Son refus vous a-t-il quelque peu choqué?
J'avais certes des raisons d'être déçu, triste, mais aucune, d'être choqué. Je ne me doutais pas à l'époque que la recommandation de cette personnalité kabyle, loin de susciter l'adhésion de Lounès allait au contraire l'inciter à la défiance. Mon analyse de la situation était que c'était son oeuvre, il lui appartenait de choisir les personnes avec qui il devait travailler. Néanmoins, je souhaitais secrètement, inconscient jeune homme que j'étais, pouvoir le convaincre à un moment ou un autre que j'étais la personne la plus à même de réaliser un livre d'après ses poèmes. Il m'incombait de travailler de sorte que mon ouvrage soit d'une qualité telle qu'il convainque Lounès Matoub d'approuver mon projet.

Lors d'une autre rencontre, plusieurs mois plus tard, c'est Matoub Lounès lui-même qui s'est rapproché de vous. Vous attendiez-vous à une telle modestie?
En fait, à la réédition en disque compact de son disque Communion avec la partie, Triomphe musique a utilisé mes traductions pour le livret du disque. Lounès y a apporté quelques corrections sans que nous nous soyons revus.
Il se trouve que le hasard nous a mis plusieurs fois sur le chemin l'un de l'autre. Je pense à ce mois de décembre 1994, quelques semaines après qu'il a été libéré. Je sors d'un cours à la Sorbonne et à ma très grande surprise, je vois Lounès Matoub dans la cour de l'université posant pour un photographe devant la statue de Victor Hugo. Fort intimidé, je n'ose pas aller le déranger bien que je sois très heureux de le voir, à plus forte raison après l'épreuve de son enlèvement. Il m'a vu, a remarqué mes hésitations. Il a interrompu sa séance de photographies, descendu l'escalier pour venir me saluer. Cela faisait presque deux ans que je ne l'avais pas revu, mais il se souvenait de mon nom et de mon adresse.
Il venait à la Sorbonne pour recevoir le Prix de la mémoire en présence notamment de Danielle Mitterrand et du Dalaï Lama. Qu'il ait interrompu sa séance de travail et qu'il soit descendu pour me serrer la main, alors que c'était à moi, compte tenu de ce qu'il venait de vivre, qui devais aller à sa rencontre est un indice éloquent pour comprendre la personnalité de Lounès. Quelques semaines plus tard, je passe à Triomphe Musique pour lui laisser un mot exprimant ma joie de sa libération et ce que je n'ai pas pu lui exprimer le jour de nos retrouvailles à la Sorbonne. Il arrive à l'instant où je vais déposer la lettre à son intention. Je la lui donne, intimidé. Nous parlons de la situation de la guerre civile en Algérie, des engagements politiques de quelques personnalités kabyles. Il me retrouve quelques mois après dans le même magasin et me demande si cela m'intéresserait de travailler sur la traduction de son prochain disque. Je l'ai rappelé comme il me l'avait demandé, au mois d'octobre ou novembre 1996. Il m'a fait le grand plaisir de me chanter une dizaine de poèmes qui allaient composer le disque Tiɣri g-gemma. J'ai traduit la presque totalité du disque avec les remarques critiques ou les éclaircissements de Lounès. Je me souviens, par exemple de l'importance qu'il accordait au fait qu'il chantait dans Lmutt b-b°egrawliw - Ḥemmlen ak° Medden i ṣṣut-ik et non Ḥemmlen ak° medden ṣṣut ik. Dans La Soeur musulmane, il tenait au passage final: S tulawin wamma lxalat et à la distinction très nette entre les deux éléments. J'ajoute que j'ai pu assister à l'enregistrement de la totalité de ce disque pendant le mois de décembre 1995.
Lounès Matoub, autant qu'il m'a été donné de l'observer, était très discipliné. Il est vrai que, pendant une dizaine de jours, il avait la voix enrouée, mais il a cessé de fumer, ne consommait pas d'alcool et nous passions une dizaine d'heures par jour, parfois plus, en studio.
Il était très respectueux de ses musiciens, accordait beaucoup d'importance à leurs petites trouvailles pour embellir ses orchestrations. Par exemple, une fois Fateh-Allah, qui joue de la guitare électro-acoustique sur ce disque; était en train de s'amuser avec sa guitare en attendant d'entrer dans la cabine d'enregistrement.
Lounès entend ce qu'il fait et lui demande aussitôt d'aller placer les notes qu'il venait de jouer sur un des titres. Une seule fois, il s'est montré en colère. Un des musiciens est venu en studio après avoir bu et Lounès s'est montré courtois, annulant sous quelque prétexte la séance d'enregistrement. Le lendemain alors que nous étions seuls chez lui il a laissé éclater sa colère. En février ou mars 1996, il me demande si cela pouvait m'intéresser de reprendre mon vieux manuscrit pour l'adapter à un projet qui l'intéressa pendant quelques mois. Il voulait enregistrer de nouvelles versions de ses anciens titres et de les orchestrer en tenant compte de son parcours dans le chaâbi. Le travail aurait tenu dans une dizaine de disques, avec préfaces et traductions. Ce projet fut abandonné et c'est comme cela que l'idée d'un recueil est revenue et que nous avions choisi les textes qui devaient figurer dans ce livre. Il est aisé d'imaginer quelle joie je pouvais ressentir à la proposition de Lounès et à l'honneur qu'il m'a fait, après son premier refus, en exprimant son intérêt pour mon travail. Lounès qui, contrairement aux préjugés que certains ont répandus sur lui, était quelqu'un de très subtil, même dans les rapports de la vie quotidienne. Il savait que je souhaitais tant faire ce recueil de poésies. Sans lui en parler, il a voulu me faire ce cadeau pour m'exprimer son respect et son amitié, me donnant même l'impression, dans son extrême générosité, que c'était lui, cette fois, qui demandait à travailler avec moi.

En tant que jeune intellectuel, n'aviez-vous pas des appréhensions à entamer votre carrière d'écrivain avec un monument de la trempe de Matoub Lounès?
Pour ce qui est de cette carrière présumée, au moment où j'achève la rédaction d'un premier manuscrit autour des poèmes de Lounès Matoub, quelques miens poèmes paraissent en revue. Mais la question demeure pertinente. C'est parce que je voulais plus que tout travailler sur ses poèmes chantés. Mais ce désir voilait à mon esprit critique les aptitudes linguistiques et plus largement culturelles qu'un travail sur Lounès Matoub exigeait.
L'extrême générosité de Lounès a rendu possible le fait que moi qui n'étais encore rien dans ce siècle, pour détourner un mot d'Isodores Ducasse, moi qui n'étais rien je puisse obtenir sa confiance pour mener à bien un projet qui lui tenait tant à coeur. Incontestablement, compte tenu de la notoriété qu'il avait acquise de l'enjeu qu'il représentait dans le champ culturel des années quatre-vingt-dix, il lui était loisible de choisir la personne qui puisse à la fois préfacer, étudier son travail et lui donner une forme de prestige du fait de son parcours intellectuel et universitaire.
Mais il a décidé de faire confiance à un jeune étudiant qui ne vivait plus en Kabylie depuis l'âge de onze ans, qui n'avait rien produit au niveau régional ou national, qui puisse rassurer Lounès Matoub sur l'issue favorable à son oeuvre par une collaboration avec lui. C'est dire non seulement la modestie, mais la noblesse de coeur de Lounès Matoub.

Est-ce que Matoub Lounès a lu une partie de vos traductions? Quelle a été sa réaction?
Comme je l'ai indiqué plus haut, Lounès Matoub a lu les traductions réalisées pour la réédition en disque compact du disque Amğazi (Communication avec la patrie) et nous avons travaillé ensemble sur les traduction du disque Tiɣri g-gemma (La complainte de ma mère). Pour l'ouvrage qui allait devenir Mon nom est combat (Isem-iw imenɣi), nous avons, je le répète, sélectionné les textes ensemble (à l'exception des textes inédits écrits quelques semaines avant son assassinat) et nous avons particulièrement parlé de la forme des traductions. Pour Lounès, il fallait utiliser mon expérience et les connaissances que j'avais dans la poésie française pour faire en sorte que notre travail se rapproche davantage d'une adaptation en français que d'une traduction. Il voulait garder le thème, le déroulement du texte kabyle, mais s'en écarter jusqu'à donner l'impression en français qu'il s'agit d'un texte original.
C'est que Lounès était conscient, nous en avons discuté, qu'un texte qui présente toutes les apparences de l'originalité en kabyle, peut se révéler conventionnel en français. Son analyse est vraie pour certains textes. Toutefois, les lecteurs une fois prévenus de l'esthétique de la poésie kabyle, ceci étant dit contre toutes les inepties proférées contre lui par les ignorantins de leur propre culture et de la culture européenne notamment, les images élaborées par le grand poète qu'était Lounès Matoub sont d'une telle beauté qu'elles se passent d'une adaptation.

Pouvez-vous nous parler de votre dernière rencontre avec lui (ainsi que de votre dernière communication téléphonique)?
J'ai vu Lounès Matoub pour la dernière fois le 10 ou le 11 juin 1998. C'est-à-dire le mardi ou le mercredi avant son départ pour la Kabylie. Une nouvelle fois, alors qu'il venait de m'appeler chez moi à mon insu, je me suis rendu au café géré par le grand musicien Allaoua Bahlouli à Montreuil. Il était surpris et heureux de me voir alors qu'il venait, à mon insu, de m'appeler. Je vais essayer de résumer notre conversation par thèmes.
Sur le plan personnel, il était heureux de son union avec sa femme Nadia. Il comptait venir s'installer en France dès l'obtention du visa de sa femme et essayer d'avoir un enfant. Il voulait se consacrer à sa vie privée quelque temps et à sa création. Sur le plan artistique, il était content de son travail et avait pour la première fois, l'impression qu'il était comparable aux grands artistes qu'il admirait (en particulier Lh'esnaoui et El Anka), encore que la peur de perdre sa voix ne l'ait pas quitté. Elle devenait de plus en plus grave et pour lui, mécaniquement, moins souple. Mais il m'expliqua comment, contournant cet obstacle, il l'avait détourné pour atteindre « un grave inhumain », selon ses propres mots. Il pensait au titre A tamɣart. « C'est comme si quelqu'un d'autre chantait en moi », me dit-il. L'autre exemple de cette capacité de Lounès à utiliser comme une force, ce problème de voix, se trouve dans Ur sḥissif ara, une de ses plus belles interprétations.
On peut citer l'ḥif dans lequel Lounès, vocalement fatigué, s'appuie sur cette fatigue pour rendre plus nette la condition du personnage mis en scène. Il m'a expliqué qu'il avait en préparation presque le double du disque Lettre ouverte. Sur le plan politique, il était dans le désarroi et la rage. Comme il l'exprime dans le titre Iluḥq-ed zzhir, il était écoeuré par l'indifférence des partis politiques d'origine kabyle et en particulier ses anciens amis politiques devant le projet d'arabisation ce qui signifiait la liquidation programmée de la culture amazighe.
Il me dit que pour lui, tous ces gens avaient trahi leurs engagements et de fait étaient devenus des corrompus. « A partir du 5 juillet, je serai la seule opposition en Algérie », me dit-il. « Cette fois, soit ils me jetteront en prison, soit ils me tueront », me déclara-t-il quelques instants auparavant. Il ne s'est pas trompé.
Ils ont tué l'opposition. La sécurité de sa femme, alors qu'il n'avait pas achevé son travail sur le disque (pour ce qui concernait le livret du disque et quelques détails), l'angoisse dans laquelle il était à l'idée qu'il puisse lui arriver quelque chose à cause de lui l'avait incité à retourner en Kabylie. Je lui ai parlé une dernière fois au téléphone le dimanche qui a précédé son assassinat après qu'il lut la première version du texte de présentation que j'avais fait pour Lettre ouverte.

Source: Aomar Mohellebi (L'Expression).


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imazal a écrit le 30/10/09 à 18:13
bon courage continuez le soutien sera tjs la.WU38A


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